Dans nos articles précédents, nous avons décortiqué un certain nombre d’informations et avons montré à quel point elles étaient fausses, manipulées, tronquées… Nous souhaitons ici (toujours dans notre objectif d’éducation aux médias) montrer comment se construit une allusion, où elle circule et la confusion qu’elle entraîne.

Notre analyse de l’allusion portera sur de sois-disant « conflits d’intérêts ». Y en a-t-il ou pas? En fait, nous n’en saurons en fait rien, malgré que le film nous ait été présenté comme une « enquête » pour laquelle des « enquêteurs » ont été spécifiquement engagés .

Examinons cette séquence du film à 00:43:00

 

Et puis, les conflits d’intérêt, dont on nous dit qu’ils sont inévitables. Je lis sur ce bandeau que le spécialiste interviewé sur la sécurité des vaccins est professeur d’immunologie à l’ULB. Certes, mais il est aussi président du conseil d’administration de la Fondation AstraZeneca. nous dit Bernard Crutzen

Un conflit d’intérêt masqué par la TV ?

Il s’agit une petite séquence banale dans le film, un extrait d’un JT de la TV publique belge, la RTBF.

La séquence fait suite à un argumentaire expliquant, voire justifiant, la méfiance envers les vaccins. Et juste après nous voyons une séquence où il est question d’un problème dans les contrats passés entre l’État et AstraZeneca (une information basée sur ce que racontent les fameux « médias mainstream » que le réalisateur dénigre pourtant tout au long du film…).

Que nous dit-on ici ? Quelle est l’histoire ? Nous invitons le lecteur à regarder la séquence, voire, idéalement, à la revoir dans son contexte et à réfléchir à ce que peut comprendre un spectateur lambda qui regarderait le film sur son ordinateur ou dans une salle de cinéma.

Il nous semble comprendre qu’il y a un conflit d’intérêts, occulté ici par la TV publique belge : un expert qui parle des vaccins, que la TV présente comme un professeur d’université, alors qu’il est en fait lié à l’entreprise AstraZeneca.

On pourrait nous reprocher d’interpréter le propos. C’est pourquoi nous insistons pour que le lecteur face l’exercice de s’imaginer dans la peau d’un spectateur lambda regardant le film dans des conditions habituelles.

Quelle est l’information ?

Nous entendons qu’il y a des conflits d’intérêts, mais nous ne recevons aucune précision à ce sujet.

Et, ensuite, il semble être reproché à la TV d’avoir présenté ce chercheur, qui parle de vaccins, en tant que professeur d’université, alors qu’il est président de la Fondation AstraZeneca. Le spectateur ne reçoit aucune information sur cette fondation. Nous nous demandons d’ailleurs si, en condition normale, il saisit bien qu’il ne s’agit pas de l’entreprise AstraZeneca. Car il est bel et bien question ici d’une fondation crée et soutenue par cette entreprise, fondation qui attribue notamment des prix à des chercheurs jugés méritants. Il est facile de trouver des articles dans la presse au sujet de ces prix.

De telles fondations, portant le nom de leur sponsor, ne sont pas rares. Le réalisateur a-t-il découvert un élément étayant ses propos sur « les conflits d’intérêts » ? Si oui, pourquoi ne les partage-t-il pas ? Nous serions bien en peine ici de nous livrer à un fact-checking de l’information, vu qu’il n’y a pas vraiment d’information. Les mots « conflits d’intérêt » ont été lâchés, mais on ne nous dit même pas clairement s’ils se réfèrent concrètement à cette situation présente. Les images défilent, on voit apparaître le visage de ce chercheur et le logo de la Fondation AstraZeneca. Et c’est tout.

La TV publique belge aurait-elle dû le présenter, non comme un professeur d’université, mais comme le président de la Fondation Astra-Zeneca ? Président et fondateur d’un institut de recherche sur l’immunologie à l’Université Libre de Bruxelles, un tel chercheur a forcément une multitude de fonctions, dans des écoles, des associations, des groupes de travail. Est-il étrange que le JT de la RTBF le présente sous sa fonction de professeur en immunologie plutôt que celle de président d’une fondation attribuant des prix une fois par année ? Et à quel titre intervient-il dans ce JT ? Il nous semble que c’est en tant que spécialiste de l’immunologie, et non pour parler de l’attribution de prix à des chercheurs. Il y a ici un article de la presse spécialisée qui parle justement de l’attribution de ce prix, et le Pr Michel Goldman y est cité, en tant que président de la Fondation AstraZeneca.

Il ne s’agit pas ici de défendre ce professeur d’université ni les journalistes de la RTBF, mais d’établir les fait. D’ailleurs, même si nous le voulions, nous ne saurions pas contre quoi les défendre, vu que rien n’est dit clairement.

Par ailleurs, nous ne savons pas qui est ce « on » qui prétendrait que les conflits d’intérêts seraient inévitables. Nous avons trouvé passablement de textes expliquant que les INTÉRÊTS sont inévitables. Mais les CONFLITS d’intérêt, c’est autre chose. Le réalisateur ne confondrait-il pas ces 2 notions ?

Et pour compléter, précisons que le sujet du JT en question, daté du 27 juillet 2020, parlait des essais cliniques qui débutaient sur le vaccin Janssen, soit un des concurrents du vaccin d’AstraZeneca. Quant au contenu des déclarations du Pr M Goldman, si le réalisateur les jugeait problématiques, fausses, trompeuses ou partisanes, pourquoi ne pas avoir dit clairement en quoi ? Et surtout, quel est le lien entre ce que le téléspectateur avait entendu au JT ce soir-là et les propos sur les conflits d’intérêt ?

 

Le réalisateur avait présenté son film comme une « enquête » et il avait même indiqué avoir engagé des enquêteurs grâce à la générosité des donateurs. Mais, découvrant une affaire de conflits d’intérêts impliquant un expert belge connu, au lieu de partager le résultat de son enquête, il se contenterait d’un propos vague, lourd de sous-entendus ?

Un récit connu

Il y a de quoi se questionner sur la provenance de ces accusations confuses de « conflits d’intérêts ». En cherchant sur les réseaux sociaux, nous avons été frappés par l’étrange ressemblance entre ce qui nous est suggéré ici et un récit qui avait circulé en décembre 2020 sur certains sites complotistes, sous la forme d’un texte intitulé « Vaccins Covid-19: la gangrène des conflits d’intérêts, comme avec le H1N1 » (le titre pouvant varier selon le site). On visait déjà le Pr Michel Goldman, mais pour une autre intervention dans un autre JT. Le sujet était la création d’un groupe d’experts chargé de conseiller le gouvernement belge dans l’achat de vaccins.

« Ces engagements entérinés par le gouvernement belge s’établissent sur base des évaluations positives établies par l’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) dont un comité a été chargé d’examiner les dossiers des candidats vaccins. Selon le site officiel de l’AFMPS, ce comité est composé d’experts qui « n’ont aucun conflit d’intérêt et sont tenus au secret. Afin de garantir l’indépendance de ses membres, la composition de ce comité ne sera pas divulguée avant la fin de ses travaux. » Pourtant, dans le journal télévisé du 19 août 2020 de la chaîne de télévision belge RTL, le professeur Michel Goldman a été interviewé et présenté explicitement comme étant l’un des membres de ce comité. Or, sur le site officiel de la « AstraZeneca Foundation », Michel Goldman est désigné comme président du board de cette fondation dont la raison d’être consiste à protéger et véhiculer les intérêts de la firme biotechnologique AstraZeneca. »

 

Le texte semble avoir été publié initialement sur le blog d’Initiative Citoyenne (un collectif antivax dont Sophie Meulemans, intervenante du film, est une des co-fondatrices) en décembre 2020. Nous l’avons trouvé sur d’autres sites du même tonneau, comme ici (Children’s Health Defense Europe) , ou encore ici (Le Libre Penseur).

Une accusation de conflits d’intérêts visant le Pr Michel Goldman, en se basant sur le simple fait qu’il préside la fondation AstraZeneca, et une accusation contre une grande chaîne de TV qui cacherait ce soit-disant conflit d’intérêt. Bref, le récit était plus ou moins connu et a eu un certain succès sur les réseaux sociaux dans certains milieux.

Un bon résumé du film

Cette séquence du film, n’est pas particulièrement spectaculaire : pas de propos tronqué et recollé, ni de mensonge sur le contenu d’un document brandi à l’écran. Et nous ne nous sommes pas livrés ici à un véritable « fact-checking » de l’information, vu qu’il n’y a pas vraiment d’information. Une fois encore, le réalisateur suggère beaucoup, mais ne dit pas grand-chose, comme si c’était à l’imagination du spectateur de faire le travail.

Si nous résumons, nous avons :

  • Des insinuations
  • Une absence d’informations claires
  • Un récit préalablement diffusé sur des sites complotistes, légèrement remanié et mis en forme de manière quelque peu atténuée
  • Aucune de trace de ce qui pourrait ressembler à une enquête journalistique

Une scène typique de ce film qui se veut un documentaire.

Complément :

Nous ne nous sommes pas lancés dans la définition du conflit d’intérêt et la distinction avec la notion d’intérêt. Nous proposons deux textes pour le lecteur qui voudrait aller plus loin :

Un article, de la RTBF, assez accessible, portant justement sur la question des experts belges dans le cadre de la crise du Covid : « Experts de la santé et conflits d’intérêts : quelle transparence ? »

Un article plus général, et beaucoup plus long, tiré d’un site de l’administration canadienne et rédigé par un professeur d’une école d’administration : « conflits d’intérêts »

Mais il est important de garder en tête que « intérêts » et « conflits d’intérêt » ne sont pas synonymes.