Comme on a pu le voir dans nos articles précédents, le film « Ceci n’est pas un complot » recèle de nombreuses erreurs, des déclarations tronquées, va s’approvisionner sur des sites franchement complotistes… Mais en outre, il défend un narratif qui tient en une idée: Le qualificatif de « complotiste » ne serait là que pour discréditer les quelques courageux qui oseraient questionner le « discours officiel » diffusé par les « médias mainstram. ». Un narratif très proche de celui de Trump ou du Kremlin qui disent « Fake » à longueur de déclarations.  Voyons comment cela s’articule:

A 15:32, le réalisateur dit en voix off: Le journaliste Alexandre Penasse, éditeur du média Kairos questionne la 1ère ministre sur d’éventuels conflits d’intérêts au sein du groupe des experts qui la conseillent. Sophie Wilmès estime que la question est biaisée politiquement et recadre le journaliste.  Le lendemain, le site RTL Info titre «Un journaliste avance une théorie du complot» Ainsi donc, poser une question somme toute basique fait de vous un complotiste ?

 


 

 

Un thème central du film

 

Le qualificatif de «complotiste» ne serait-il qu’un simple truc utilisé pour discréditer celles et ceux qui poseraient des questions dérangeantes ? C’est une thématique centrale du film.

 

Nous citons le réalisateur, présentant le projet du film, qu’il qualifiait d’«enquête» (nous soulignons ce terme) : «Nous sommes particulièrement intéressés par le qualificatif de complotiste qui discrédite toute parole, même scientifique, n’émanant pas des autorités.»

 

 

Une question – somme toute – basique ?

 

La question est-elle si basique que cela ? Le spectateur aurait de la peine à en juger, vu que le réalisateur a tronqué les propos qu’Alexandre Penasse avait tenus ce jour-là, 15 avril 2020.

 

Le film mentionne la date du 24 avril 2020. Mais nous insistons : cette conférence de presse avait bel et bien lieu le 15 avril. Ce n’est pas grave : le mois et l’année sont corrects, cela nous paraît déjà bien vu le contexte.

 

Voici donc la question complète posée ce jour-là.

 

 

Nous invitons le lecteur a comparer ceci avec l’extrait du film, et avec ce que le réalisateur en dit («Une question somme toute basique»).

 

Pour notre part, nous sommes notamment frappés par le décalage entre, d’un côté, les accusations graves lancées sur un ton très péremptoire, et, de l’autre côté, l’absence d’éléments concrets étayant ces accusations, ainsi que le caractère brouillon du propos. Que vient faire, par exemple, la 5G dans cette histoire ? Les informations sur les activités professionnelles passées des experts citées ici sont des informations qui étaient accessibles, publiques : aucune révélation. Et suffit-il d’énumérer de telles informations pour justifier une accusation de « conflits d’intérêts » ?

 

 

 

Poser des questions, poser des questions… Et les réponses ?

 

Et que penser de la réponse de la 1ère Ministre belge, alors en exercice, Sophie Wilmès ? Là encore, le spectateur aura de la peine à se faire une idée vu qu’il n’en entend presque rien.

 

Voici donc la réponse complète de la 1ère Ministre :

 

 

Et là encore, nous invitons le lecteur à comparer avec ce qui apparaît dans le film.

 

Notons que l’article de RTL Info, que l’on entrevoit à l’écran, avait publié les propos tenus de manière relativement complète. L’article n’est plus disponible sur leur site, mais on en trouve une version archivée (sans la vidéo).

 

Les habitués du discours complotiste retrouveront ici un fonctionnement qui leur est familier. Il y a une insistance sur la notion de «question dérangeante» (que l’on ne pourrait plus poser sans se faire taxer de «complotiste») et de l’autre, il y a un désintérêt quasi absolu à l’égard des éventuelles réponses qui seraient apportées à ces fameuses questions. En principe, une question est sensée appeler une réponse, et celle-ci devrait donc importer.

 

Nous émettons l’hypothèse que, dans certains discours, la question n’est qu’un procédé rhétorique destiné à jeter des affirmations gratuites et à diffuser des sous-entendus, tout en endossant l’habit du frondeur à l’esprit libre qui ose remettre en cause le Système.

 

 

Juste avant : «On va tout de suite vous dire que vous êtes complotiste»

 

 

Il vaut la peine de resituer cette scène dans le film. Regardons ce qui précède.

 

 

 

Nous avons donc, dans l’ordre :

 

  • Les America’s Frontline Doctors. Selon le réalisateur, ils ne feraient qu’«expliquer qu’il ne faut pas céder à la panique et que l’on peut guérir du Covid.» En fait, ce groupe de médecins connus pour leur proximité avec l’« Alt Right » faisaient, entre autres, la promotion de l’hydroxychloroquine comme remède miracle (et ils en ont fait un juteux commerce, d’ailleurs).

  • Le Dr Luis de Benito. Selon le réalisateur, il «remet en place une journaliste qui cherche à tout prix le sensationnel». En fait, il soutenait (en été 2020) que l’épidémie était terminée et que la 2ème vague n’était qu’un montage médiatique pour justifier un contrôle de la population (et d’autres affirmations du même style).

  • L’Außerparlamentarischer Corona Untersuchungsausschuss (ACU). Selon le réalisateur, des médecins, qui «s’organisent avec des avocats pour dénoncer la narration officielle de l’épidémie.» En fait, un regroupement de médecins (dont certains n’exercent plus) diffusant les thèses complotistes les plus farfelues, allant de la négation pure et simple de l’épidémie à l’annonce d’un authentique apocalypse vaccinal, le tout en lien avec la promesse d’un Procès de Nüremberg 2.0, sensé juger les responsables de ce qu’ils appellent la «plandémie».

  • Le Pr Christian Perrone. Celui-ci s’entend dire «On va tout de suite vous dire que vous êtes complotiste, Pr Perronne !» Il faut regarder les 2 extraits vidéos que nous partageons dans l’article dédié et comparer la version, tronquée et remontée, proposée par le réalisateur, avec la version complète du propos du Pr Christian Perronne. Tels que montrés dans le film, ces propos semblent certes accusateurs mais pas complètement délirants et on pourrait s’étonner que le journaliste utilise le terme «complotiste» pour si peu. Une fois que l’on entend le propos en entier, l’impression est différente.

     

C’est ce même mécanisme que l’on voit à l’œuvre dans la séquence qui nous occupe ici, avec Alexandre Penasse et sa question. Le réalisateur nous montre une version atténuée d’un propos et dénonce ensuite le fait que certains le qualifient de «complotiste».

 

 

Et après ? Du concret, enfin ?

 

Et après la séquence de la conférence de presse, a-t-on enfin du concret, quelque chose qui appuierait les accusations formulées, sous forme de question, par Alexandre Penasse ?

 

Nous voyons des extraits d’une interview d’une anthropologue, Jacinthe Mazzochetti. Ce que nous entendons semble confirmer la thèse du réalisateur, selon laquelle le terme de «complotiste» ne servirait qu’à discréditer ceux qui oseraient tenir un discours dérangeant. Mais cette anthropologue a dénoncé les pratiques du réalisateur, affirmant que ses propos ont été manipulés par un montage trompeur.

 

Nous entendons ensuite Alexandre Penasse qui soutient que les complotistes seraient ceux qui «mettent en évidence les intérêts occultes» et il parle même de «mise en évidence de corruption réelle». Doit-on en conclure que c’est le cas ici, que des intérêts occultes, voire de la corruption réelle, auraient été mis en évidence ? Le spectateur est invité à faire fonctionner son imagination, car on ne lui apporte toujours rien de concret.

 

Nous insistons : il ne s’agit pas pour nous de nier l’existence de «magouilles» dans les médias, la politique, l’industrie de la pharma ou autre. Nous soulignons simplement le fait que ni le réalisateur, ni le journaliste interviewé, ne nous ont apporté aucune information réelle à ce stade. Nous ne savons tout simplement pas quels sont les «magouilles» qu’ils auraient mises en évidence.

 

 

Mais juste après l’extrait de l’interview, il y enfin du concret : un conflit d’intérêts au sein du GEES, le groupe d’experts belge, que le réalisateur a découvert au travers d’un article d’Alexandre Penasse dans Kairos.

 

Enfin un exemple concret d’un de ces conflits d’intérêts…

 

 

« Ce n’est qu’une lettre en trop ! »

 

Exemple concret que le spectateur ne verra pas, car le réalisateur a supprimé la séquence en question après coup !

 

Les informations divulguées n’étaient tout simplement pas vraies.

 

Donc, après toute cette succession de propos sur les «conflits d’intérêts», voire carrément «la corruption», le seul élément concret s’avérait être une fausse information, au point que le réalisateur a été forcé de retirer la première version, et de la remplacer par une nouvelle version, expurgée de la séquence concernée (sur les réseaux sociaux on peut trouver la 1ère version, que les adeptes du film qualifient de «non censurée»).

 

Les accusations visaient un microbiologiste qui faisait partie du groupe d’experts, Emmanuel André, et celui-ci avait réagit sur les réseaux sociaux : «Ce qui est dit à mon propos est factuellement faux». Et il semble que la société incriminée ait aussi réagi. Le réalisateur avait alors livré une explication sur son compte Facebook, réduisant le problème à une petite confusion entre 2 mots, «tracing» et «tracking». « Ce n’est qu’une lettre en trop » s’expliquait-il.

 

Avant de lancer une accusation de conflits d’intérêts cachés, le réalisateur n’avait pas jugé utile d’interroger les personnes visées. Il nous semble utile de rappeler ici que ce film a été présenté comme une « enquête » et que le réalisateur avait affirmé avoir engagé des enquêteurs grâce à la générosité des donateurs.

 

Quant aux explications données, elles semblent pour le moins incomplètes, si l’on en juge cet extrait d’un reportage de la RTBF («Quand le doute vire au complot»).

 

 

 

 

 

Et ensuite ? Avec Mc Kinsey, enfin du concret ?

 

Nous continuons avec le cabinet de conseil Mc Kinsey.

 

Ce nom sent le souffre, en raison de divers scandales révélés à travers le monde. En Belgique notamment, une polémique a éclaté car ce cabinet avait envoyé des consultants pour œuvrer gratuitement au sein du groupe d’experts du GEES, mais il s’est avéré ensuite que la gratuité n’avait duré qu’un temps limité, avant que de juteux contrats ne soient discrètement signés. La polémique a porté sur cette manière de faire, sur les montants engagés et sur le rôle laissé au service public (Pourquoi est-ce que certaines de ces tâches attribuées à ces cabinets n’ont-elles pas été assumées par les organes de l’État ?). Le lecteur trouvera facilement des articles à ce sujet, dans ces médias « mainstream » tant décriés, comme ici ou ici.

 

 

 

 

 

 

 

Le réalisateur aurait-il révélé dans son film un scandale avant tout le monde ? Clairement non. Là encore, nous avons affaire à des propos vagues et des sous-entendus que nous avons de la peine à interpréter. Mc Kinsey conseille la grande distribution qui a bien profité du confinement ? Et où veut-on en venir ? Les mesures de confinement, en Belgique et ailleurs dans le monde, auraient été prises sur recommandation de Mc Kinsey afin de favoriser ses clients de la grande distribution ? Est-ce cela qu’il faut comprendre ? Tous les gouvernements de par le monde qui ont pris ce genre de mesures l’auraient fait pour de tels motifs ? Et doit-on en conclure que Mc Kinsey ne compterait, parmi ses grands clients, aucune entreprise active dans des domaines affectées par le confinement (transport aérien, transport maritime, spectacle, gaz et pétrole, automobile, etc.) ?

 

La polémique qui a éclaté en Belgique, sur les montants versés aux cabinets de consultant, fait suite à une enquête publiée dans Le Soir (décidément, ces journalistes mainstream qui cachent les conflits d’intérêts…). En France, un ensemble de scandales a éclaté ces derniers mois (rôle dans la gestion de la pandémie, montant des honoraires perçus depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, doutes sur la légalité de «l’optimisation fiscale» – l’entreprise n’ayant pas payé d’impôts en France -, etc.), notamment suite à une enquête de l’Obs (encore ces maudits journalistes mainstream complices du pouvoir…).

 

Nous parlons ici de faits, d’informations claires et d’enquêtes journalistiques sérieuses. Pas d’affirmations gratuites et de sous-entendus. Il ne suffit pas de prononcer le nom de « Mc Kinsey » en gesticulant pour pouvoir prétendre avoir dénoncé une affaire.

 

Après la séquence sur McKinsey, nous entendons un membre de GEES, Marius Gilbert, chercheur en épidémiologie, qui lui aussi s’est exprimé après coup pour dénoncer l’usage des ses propos dans le film au travers d’un montage contestable.

 

Nous n’allons pas continuer plus loin. Nous laissons le soin au lecteur de visionner la suite du film, s’il souhaite vérifier au cas où, par hasard, on ne trouverait pas trace de cette fameuse « corruption cachée » révélée par l’éditeur de Kairos ou par le réalisateur du film.

 

En conclusion : quelles «révélations» ?

 

Nous sommes partis d’une interpellation tonitruante, en pleine conférence de presse, qui semblait s’annoncer riche en révélations sensationnelles. Les images ont défilé. Nous avons entendu de nombreuses allusions à des conflits d’intérêts cachés, dont les grands médias se désintéresseraient et sur lesquels seuls des « journalistes indépendants enquêteraient », journalistes indépendants qui se feraient abusivement taxer de «complotistes».

 

Mais nous attendons toujours ces fameuses révélations.

 

Et si nous revenons à l’épisode de la conférence de presse, avec la fameuse question adressée par Alexandre Penasse à la 1ère Ministre, cela semble loin de démontrer la thèse des lanceurs d’alerte que l’on voudrait dénigrer avec des accusations de complotisme. Au contraire, ses propos flous sur de vastes scandales occultés par les grands médias semblent plutôt illustrer l’image que l’on peut se faire du complotisme.

 

En conclusion, nous aimerions insister sur 3 méthodes, 3 fonctionnements, qui sont bien mis en évidence ici et que l’on rencontre ailleurs dans le film et, en général, dans l’univers des théories du complot :

  1. des propos aussi graves que gratuits présentés comme de simples «questions»

  2. le discours victimaire selon lequel on ne pourrait plus poser de questions sans se faire accuser de complotisme

  3. de continuelles références à une opposition entre les « grands médias » (ou « médias mainstream ») d’une part et, d’autre part, les « médias indépendants » (ou « médias alternatifs »), sans jamais fournir une définition claire de ces 2 notions

 

 

Grompf

 


Quelques petits compléments…

 

1. Au sujet de Kairos Presse

 

Le spectateur peu attentif et peu au courant pourrait imaginer Kairos comme une sorte de journal, militant et engagé, se livrant à de véritables enquêtes mettant à jour des affaires. Nous avons jeté un œil à certaines de leurs vidéos et à certains de leurs articles et il nous semble que nous en sommes loin. Il y a des grandes accusations peu étayées, à l’image de ce qu’il s’est passé lors de la conférence de presse. Il y a aussi des interview d’invités qui tiennent parfois des propos loufoques, voire parfois franchement scandaleux, sous le regard complaisant de l’interviewer qui ne se soucie guère de la véracité des informations ainsi diffusées. Pour illustrer notre propos, nous partageons ici quelques fils twitter consacrés à ce «média» :

 

 

Dans le film, nous entendons A Penasse expliquer que lui n’a rien à voir avec les récits complotistes de type complot lunaire, extra-terrestres ou Terre Plate. Mais si nous regardons concrètement ce qui est diffusé sur son « média », nous n’en sommes parfois pas loin. Et nous avons également constaté qu’il peut participer, avec beaucoup de fierté, à des événements aux côtés de complotistes connus pour des théories de ce genre.

 

 

 

 

2. Sur l’opposition entre « médias mainstream » (ou « grands médias ») contre « médias alternatifs » (ou « médias indépendants »)

 

Le réalisateur pose de manière répétée une opposition qui finit par nous enfermer dans une sorte de faux dilemme. Il y aurait d’un côté les « médias mainstream » qui occulteraient les vérités dérangeantes pour le pouvoir et relaieraient sans critique le discours « officiel ». Et de l’autre il y aurait les « médias alternatifs ». porteurs d’une parole qualifiée de « dissidente », qui eux oseraient remettre en cause ce fameux discours officiel.

 

Du coup, le contenu d’un blog comme celui-ci passe fatalement pour une prise de position en faveur des « médias mainstream » et une attaque contre les « médias alternatifs ».

 

Sauf que cette opposition ne tient pas si l’on regarde de près.

 

Comment classe-t-on, par exemple, un média tel que The Epoch Times, dont Bernard Crutzen semble friand ? Un journal soutenu par une secte puissante, proche de la droite dure américaine, distribué en version papier dans divers pays, disposant de sites internets dans de nombreuses langues, avec des chaînes YouTube, connu pour avoir diffusé de nombreux articles à caractère complotiste sur la pandémie, sur la dernière élection présidentielle américaine, etc. Doit-on parler de « média alternatif » ?

 

Autre exemple : Nexus Magazine (dont on aperçoit le logo sur une brève séquence du film, à 00:15:11) ? Connu pour ses histoires de complot lunaire, de civilisations extra-terrestres et de réinterprétation du mythe de l’Atlantide, ce média s’est lui aussi bien profilé pendant la pandémie en diffusant des récits « alternatifs ». La version papier du magazine est vendue en kiosque dans divers pays francophones, ce qui implique des moyens. Doit-on aussi parler de « médias alternatifs » ?

 

Et à l’inverse, un journaliste indépendant, qui vivrait de piges, se verrait qualifier de « mainstream » s’il se livre à un travail rigoureux, sourçant ses informations, et s’il ne rédige pas des gros titres sur les effets dévastateurs, et cachés, des vaccins (ou sur les effets miraculeux, et eux aussi cachés, de la chloroquine) ? Et il en irait de même pour un petit site d’information en ligne aux finances précaires, un YouTuber adepte de vulgarisation scientifique ou un simple blogueur : du moment qu’ils vérifient les informations et ne versent pas dans les discours complotistes, auront-ils forcément droit à l’étiquette « médias mainstream » ?

 

Le réalisateur, qui utilise cette opposition de manière répétée, ne fournit aucune définition de ces 2 notions, aucune explications quant aux critères qui permettraient de classer les médias dans l’une ou l’autre de ces 2 catégories.